Terre de légende...
Elle commençait à apprivoiser ce monstre de technologie et d'électronique qui trônait sur la vieille table de son salon et qui répondait, plus ou moins volontiers, à ce qu'elle attendait de lui. Ses entrailles, circonvolutions électroniques étranges, la laissaient de marbre et provoquaient parfois sa fureur lorsqu'elles engloutissaient une partie de ses écrits.
Ce soir-là, en s'asseyant à sa table, elle ignorait ce qu'elle voulait écrire ; elle ressentait simplement un besoin viscéral de coucher des mots sur l'écran, de les voir petit à petit devenir le miroir fidèle de ce qu'il était. Elle se disait «à réinventer»... en attente floue d'un devenir qui, depuis qu'elle le savait présent, prenait les teintes opalines de ses désirs profonds...
«Envie de lire encore, encore tes mots...» avait-elle demandé dans un souffle. Elle avait quitté sa table et, à cette heure avancée de la nuit, assise par terre dans son salon, elle s'étonnait de n'avoir pas sommeil. Le grand bol de café y était sans doute pour quelque chose... L'attendait-elle ? Pourquoi l'attendre ? Elle savait qu'il viendrait.
Il se souvenait d'un voyage sous le ciel mouillé d'une Toussaint de hasard. Elle avait dit : «Je veux partir, mais je ne sais pas où.» Il avait pris la voiture. Au bout de quelques kilomètres, elle dormait paisiblement sur le siège incliné. Il roulait, laissant derrière lui les villes aux néons factices et aveuglants. Quand il décida de s'arrêter, la voiture était garée sur le parking d'un hôtel, non loin de la Baie des Trépassés. «Où sommes-nous? dit-elle.» Il lui montra la mer. Elle ne dit rien mais posa ses bras autour de ses épaules et ses yeux, lentement, se noyèrent dans les siens. Il lui parla de la légende de l'Ankou : l'Ankou c'est en Bretagne le charretier de la mort : celui qui va chercher les âmes qui quittent ce bas monde. Son domaine est partout et, les soirs de brume et de grand vent mouillé, on peut entendre le grincement sinistre des essieux de sa charrette sur les petits chemins de pierre, entre les touffes de bruyères et les genêts battus par les colères de l'océan.
Le veilleur de nuit fut un peu étonné d'une arrivée aussi tardive. Ils étaient, ce soir-là, les seuls clients de l'hôtel. Après une grande tasse de thé chaud, ils rejoignirent leur chambre. Elle passa un long moment dans la salle de bain. Allongé sur le lit, les yeux pleins d'images et la tête bercée par le bruit des vagues, il l'attendait...
Elle se coula dans son dos et il sentit son parfum l'envahir ; des notes boisées se mêlaient subtilement aux senteurs océanes et, porté par cette vague de douceur, il lui parla encore longtemps de ces légendes dont la force mystérieuse vous envoûte.
Elle avait laissé sa main retomber sur lui. Ses doigts souples, oiseaux marins, glissaient sur sa peau en émoi. Il eut envie de se retourner, de la voir, de lui rendre cette carresse qu'elle laissait fleurir à la pointe de son désir. Pourtant, il resta immobile, savourant chaque précieuse perle de cet émoi qu'elle faisait naître en lui. Seul le murmure obsédant des vagues venait troubler la quiétude de cette complicité marine. Il ferma les yeux... Frissons fiévreux de sa peau abandonnée à la carresse... Il pensa à Morgane, la fée bienfaisante de Brocéliande... Il sentait sa poitrine tout contre son dos et sa respiration, marée ensorceleuse de ses désirs profonds, le conduisait vers des rivages inconnus où il ne pouvait que s'abandonner...
Sa main glissait sur sa peau perlée d'émoi, frôlait le voile clos de ses paupières, épousait doucement le dessin des lèvres, quittait maintenant son visage, effleurait ses hanches avant de s'abandonner sur les contours de son désir. A un frémissement de son dos, elle perçut son hésitation. «Dans les forêts du mystère, dit-elle d'une voix de velours, il arrive que l'enchanteur et la fée...» Elle ne termina pas sa phrase...
Au doux balancement qu'il percevait à présent contre son dos, il savait qu'elle aussi avait envie de suivre cette allée buissonnière du plaisir. S'abandonner... Ne plus penser... Vivre intensément cette fantastique éternité de l'instant quand le langage du corps est un miroir de celui du coeur, quand le rocher s'offre à la carresse mouillée de la vague, quand l'écume blanche des embruns s'étire comme le souvenir d'un éclair particulier, quand le soleil vient noyer ses derniers rayons dans les méandres chauds d'une vallée, quand les mots deviennent inutiles pour dire l'indicible.