Mystère

Publié le par Antine@

    Les mots qui filaient sous ses yeux avaient depuis quelques temps cette saveur particulière des bonheurs inattendus. Quand ses phrases lui parvenaient, elle l'imaginait au-delà de cette forêt de signes encrés là, au port rassurant de la page, le rêvait, apprenait à le mieux connaître. Il y avait, dans cette mise à nu réciproque de l'âme, un échange venu d'un lointain flou dont l'évidence s'imposait pourtant à leurs yeux.
    «Ce qui est programmé m'ennuie...» aimait-elle à répéter. Ils avaient depuis longtemps la sensation d'un partage intemporel qui avait déjà existé, dans ce passé inconsciemment archivé de leurs mémoires respectives, et qui continuerait d'exister par delà les distances.
    Les allées buissonnières de leurs échanges prenaient souvent des détours inattendus qui les comblaient. Elle aimait être surprise par un mot, une image, une idée un peu folle  qu'il déposait en elle comme la promesse d'un plaisir profond ; il n'était jamais aussi heureux que lorsqu'il la sentait émue et que son écriture se faisait l'écho brûlant de ses caresses inventées.
    Ce soir-là, il lui avait envoyé les premières lignes d'une nouvelle page de leur histoire sans savoir où elle choisirait de le conduire. Quand elle les reçut, elle éprouva le besoin de relire tout ce qu'ils avaient déjà écrit comme pour mieux s'imprégner de la volupté des mots. Elle eut un sourire rêveur en relisant l'évocation de Venise et sentit monter en elle une douce chaleur, une envie primitive de lui faire partager l'essence même de son mystère, de sa féminité. Elle ferma les yeux...
    Il était fasciné au point de penser que mystère aurait du s'écrire au féminin tellement ce mot recouvrait tout ce qui à ses yeux caractérisait la femme qu'elle était. Lointaine et pourtant si présente quand le son de sa voix retrouvée laissait sur sa peau l'empreinte suave d'une caresse, elle était le message de bonheur enfoui entre les signes ésotériques d'un grimoire médiéval où il aimait la lire entre les feuilles un peu craquantes. Il passait des heures de silence à voyager sur le satin de sa peau, posant sur son épaule de lait les pétales pourpre d'une rose dont le parfum se perdait dans les méandres soyeux de sa chevelure, effleurant le satin de son dos d'une caresse d'essences rares qui lui faisaient une tunique invisible.
    Elle aimait ces moments de silence où elle se laissait découvrir. Mystérieuse alchimie des êtres dans le creuset des mots comme une porte ouverte sur l'essentiel, sur cet indicible qui engendre la quête de l'autre. Au fil des jours elle lui avait appris que le silence n'est pas un oubli... que le mystère est le ferment de la fascination réciproque. En s'allongeant près de lui, elle eut un sourire en murmurant cette phrase de Goethe dans Les Affinités électives : «Toute attirance est réciproque.»
    Il ferma les yeux... Ses pensées se perdirent dans un voyage sans fin, des forêts interdites aux lianes de douceur. Sinuosités affolantes du contour de ses yeux mi-clos où le désir dessinait le pointillé frémissant d'un sourire... Complicité... Brise marine de sa respiration tranquille comme le rivage en attente de la marée prochaine... Confiance... Vertige des regards croisés en voyage vers cet ailleurs prochain aux senteurs poivrées... Partance... Frisson infini du violon de son corps emporté par l'archet virevoltant de la tendresse... Connivence...  Quête fébrile des mains qui se cherchent, se perdent, se retrouvent, s'égarent... Errance... Chaleur enivrante des caresses partagées sur les allées buissonnières du plaisir... Imminence... Offrande suprême dans les ondulations brûlantes d'une danse éperdue... Violence... Fulgurance...
    La nuit vint envelopper de magie les instants fragiles de leur abandon. Ils ne savaient plus où ils étaient et, comme il s'en étonnait, elle lui fit observer que cela n'avait aucune importance. L'essentiel n'était-il pas dans ce voyage où, sans le savoir peut-être, elle était devenue encore plus mystérieuse.
    Il se souvint du vol d'Icare qui se perdit en voulant approcher le soleil et frissonna quand elle posa sur sa peau le satin chaud de ses lèvres... Evidence... Il eut envie de parler mais se retint...
    Elle resta un long moment assise en tailleur face à lui. La course des nuages devant les rayons de lune dessinait sur sa peau les méandres étranges d'un autre voyage. Dans cette danse muette de l'ombre et de la lumière dont le moindre mot aurait rompu le charme, il eut soudain le sentiment que son mystère était l'essence même de sa féminité.

Publié dans Et si c'était ça...

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A
C'est un plaisir renouvelé de voyager entre tes mots. Je te remercie pour ces minutes hors du temps...
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A
<br /> Merci Ana de tes mots et de tes coms qui me témoigne le plaisir que tu as à lire mes pages... Sais-tu que cela fait vraiment chaud au coeur de lire de telles empreintes ?<br /> Encore merci d'être venue...<br /> Je t'embrasse<br /> <br /> <br />