Echos fragiles...

Publié le par Antine@

        Depuis quelques jours elle avait posé ses valises dans cet hôtel, au bord de la mer, «de sa mer» comme elle disait. Besoin de fuir les brumes de la capitale et de s'enivrer d'iode, d'air salé, d'embruns... En cette fin d'après-midi, elle achevait une longue promenade sur la plage, fourbue, vidée, saoulée par le changement d'air, elle n'aspirait qu'à une chose : se laisser tomber sur son lit et s'abandonner à la marée montante du sommeil.

         Arrivée dans sa chambre, elle resta un long moment les yeux perdus sur l'horizon gris bleu... Où était-il ? Elle avait soudain une brûlante envie d'entendre la musique de sa voix lui glisser dans l'oreille ces mots qui la faisaient vibrer. Sa main étreignit le tissu lourd des doubles rideaux, comme pour se retenir... comme pour le saisir. A cet instant, elle aurait eu envie qu'il soit là... Elle ferma les yeux... La musique de Malher lui parvenait du fond de sa mémoire. Pourquoi Malher ? se dit-elle. Elle sourit.

         Elle le devinait envahi d'images et de sensations folles, traquant dans les méandres sinueux du vocabulaire le mot juste, celui qui aurait ce pouvoir magique de lui transmettre l'exacte émotion qu'il avait éprouvée. Elle commençait à le connaître, à pressentir ses élans, ses craintes, ses folies... Elle les devançait parfois maintenant... Perdue dans ses pensées, elle ne se rendit même pas compte qu'elle s'était doucement laissée glisser sur les boucles fauves de la moquette profonde. Elle s'allongea complètement, posa sa tête sur ses bras croisés et chercha, au-delà de la terrasse de sa chambre, un point où fixer son regard. Une douce chaleur l'envahissait. Elle eut cette sensation étrange et presque familière que son regard s'était posé sur elle.

         Il avait laissé ses doigts courir sur le clavier ; il savait que les mots allaient lui montrer le chemin... Que faisait-elle ? Il ferma les yeux. Il était ailleurs ; il se sentait dicté par le tulle parfumé d'une main impalpable posée sur son épaule, par cette présence muette, par ce souffle tiède qu'il percevait à présent sur son cou... Il eut envie de quitter son bureau... Il pensa qu'après une longue promenade sur la plage, elle lui demanderait de lui faire couler un bain... Elle avait envie de plonger dans l'eau parfumée, de fermer les yeux, de sentir le glissement de la mousse et de l'eau sur sa peau... Il eut envie de l'imaginer...

         Elle se leva. L'eau coulait maintenant, chaude, emplissant la salle de bain d'une vapeur apaisante. Elle revint vers la baie vitrée et parcourut des yeux la plage. Des pas inconnus y avaient laissé des empreintes qui se rejoignaient, s'éloignaient pour mieux se retrouver. Destins fragiles de sable que la marée prochaine emporterait vers le silence comme des mains qui se cherchent, se perdent et se retrouvent dans l'anonymat de la foule. Il lui plut de penser à cette fragilité des choses humaines, à ce fil invisible qui engendre l'éclosion d'une émotion lorsque, d'un rivage inconnu, lui parvint l'écho d'un désir que elle croyait perdu.

         Elle eut envie de ressentir cette émotion dont il parlait... Dans le secret de son silence intérieur, elle relut ses mots... Maintenant... Elle s'assit doucement dans la baignoire, allongea les jambes et se laissa aller en arrière. Sa tête se posa sur la faïence froide mais le doux clapotis de l'eau apporta bien vite à sa nuque une vague de chaleur rassurante. Une simple ondulation de son corps bercé de chaleur faisait naître de petites vagues qui venaient mourir sur les dômes de satin de sa poitrine. Y restaient accrochées des écumes fines, comme une révérence de dentelle parfumée.

         Il la devinait heureuse... Les distances s'étaient abolies et, dans une aspiration profonde, il crut percevoir un parfum de lavande et de senteurs ensoleillées... Il savait «ses goûts pour les arômes, les senteurs et les parfums». Il l'imaginait abandonnée à ses rêves de mer... Il eut soudain une idée un peu folle, comme une offrande interdite sur l'autel de la morale...

         Au glissement de ses mains sur le velours humide de sa peau, à cette chaleur qui la gagnait, à l'engourdissement qui l'y invitait, elle sentit qu'elle en était toute proche... Oserait-elle? Il ne le saurait peut-être pas... à moins que...

         Il ferma les yeux... Il tremblait en écrivant... A cette chaleur sourde qui grandissait, à ce désir inventé qui cherchait son delta de mousse sauvage, à ce besoin de se laisser aller, il sut qu'elle était venue...

Publié dans Et si c'était ça...

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M
Bonsoir Antine@<br /> Je reviens à petits pas légers lire cet écrit au combien envoutant.<br /> Tout comme chaque texte, je lis une fois pour découvrir et une deuxième pour m'imprégner de l'écrit.<br /> Là, je plonge directement dans tes mots, je vois vraiment chaque images se dessiner, j imagine les parfums et saveurs qui procurent à l'instant une odeur sensuelle.<br /> Ton écrit est vraiment beau, on se laisse aller au tempo des mots... La sensibilité, l'envie, la chaleur... Tout y est...<br /> Merci pour ce partage...<br /> A bientôt, je vais continuer...<br /> Amicalement Maïlyse
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