Premier pas

Publié le par Antine@

        «Je reviendrai bientôt, peut-être, broder cette page blanche.» Elle venait de mettre le point final à cette phrase et pourtant, ce point, cette microscopique goutte d’encre, avait des allures de porte ouverte. Elle ignorait pourquoi, mais elle percevait dans le frémissement des mots comme le pressentiment d’un possible... Ce sentiment confus naissait dans le sillon de sa nuque, glissait entre ses épaules de lait, poursuivait sa course sur la ligne de son dos pour aller se perdre dans les ondulations affolantes de ses reins. Elle posa sa cigarette, relut une nouvelle fois la totalité de son message et le trouva beau. «J’aime le style d’écriture...» pensa-t-elle en reprenant sa cigarette. La fumée s’échappa doucement de ses lèvres entrouvertes, monta le long de sa joue.

        Elle cligna des paupières pour éviter que les volutes bleutées ne lui piquent les yeux et chercha ce qu’elle pouvait ajouter. Y avait-il d’ailleurs quelque chose à ajouter ? Comment allait-il découvrir ce message? Serait-il assis à son bureau? Serait-il dans l’ombre complice d’une lumière tamisée, dans ces heures un peu mystérieuses de la nuit consentante ? D’un mouvement de tête, elle remisa les questions dans un coin de sa mémoire. A quoi bon se les poser ? Elle avait réussi à dire cette émotion qui naît lorsque les accents de la musique se retrouvent à l’unisson avec ce qui fait vibrer le corps. Elle sourit ; et dire que tant d’amputés de la sensibilité oublient que c’est leur mental qui précède les vibrations du corps... Et si... Entre veille et sommeil, sur cette frontière fragile et vaporeuse du possible, elle se sentait comme un funambule. Elle n’avait pas peur, au contraire. Cette idée d’une écriture particulière, la séduisait, émoustillait son imaginaire, jetait un grand rayon de soleil chaud sur le paysage sauvage de ses vouloirs, sur la plage nue de ses désirs profonds. Son regard s’envola au-delà de la fenêtre, s’enfuit entre les arbres, les buissons où le vent déposait ce matin des écharpes de brume. Le rêve s’installa. Ses doigts effilés se glissèrent dans son paquet de cigarettes. La flamme du briquet ne fit même pas scintiller son oeil. Elle était déjà ailleurs. Où ? Elle l’ignorait. L’important était d’être ailleurs. Les paupières mi-closes, elle souffla une longue bouffée de fumée qui s’écrasa sur l’écran scintillant de son ordinateur. Son travail était là, tous ces mots ancrés dans les contingences techniques auxquelles elle se soumettait sans pour autant les accepter. Tout ce qui relevait de la technique l’ennuyait prodigieusement. Son regard flotta à nouveau entre les nuages qui s’effilochaient dans le ciel. Etre ailleurs sans y être vraiment... «Ce n’est qu’utilitaire...» répétait-elle souvent. Il avait, de manière un peu sommaire c’est vrai, répondu que l’utilitaire est souvent préférable au néant, à l’absence... Et s’ils étaient, en ce moment, l’un pour l’autre, cette présence absente vers laquelle on se tourne quand monte le désir du rêve ? Et s’ils imaginaient cet endroit connu d’eux seuls, où la mer se met à l’envers, à l’envers du décor... à l’envers des corps ? Dans ce pays vierge qu’ils inventaient au fil des mots, les bruyères avaient la couleur des yeux affolés de Van Gogh, l’eau des rivières coulait comme une sonate de Mozart, l’air frais du matin montait dans cette vapeur douce et irisée des toiles de Monet. Tout était possible et ce qui faisait le charme de ces instants précieux c’était précisément cette impression de porte ouverte, d’appel, de libre cours donné aux émois... aux désirs... Elle se souvint d’une phrase qu’elle avait lue dans un bouquin d’Emmanuelle Arsan : «L'érotisme, ce triomphe du rêve sur la nature, est le haut refuge de l'esprit de poésie, parce qu'il nie l'impossible.» Nier l’impossible, n’était-ce pas là une des clés ?

         Il lut le message comme on ouvre un livre précieux, lentement, parce qu’on sait qu’il renferme un trésor. Il ne fut pas déçu. Après l’avoir lu une première fois, il glissa ses deux mains dans l’encolure de sa chemise ouverte, les posa sur ses épaules et relut chaque phrase. Elle était là, tapie entre les voyelles, dans l’ombre complice des consonnes. Il igorait son visage, la couleur de ses cheveux... Etait-ce si important pour le moment ? L’essentiel était qu’elle soit là, qu’elle ait trouvé l’harmonie des mots qui allait faire naître les siens. Il avait envie de le lui dire, de le lui expliquer ? Mais, comment expliquer que dans ces minutes rares l’acte même d’écrire engendre des sensations physiques profondes. Arriverait-il à lui faire partager cette émotion qui faisait trembler ses doigts sur le clavier ? Trouverait-il les mots justes pour qu’à son tour elle éprouve ce qu’elle avait fait naître en lui ? Il écrivait émotion mais ce n’était pas le mot juste. Fallait-il même mettre un mot sur ce qu’il ressentait ? Fabuleuse signification de ces silences où coule la confiance. Du bout de sa plume, il débusquait les mots dans leur écrin de silence, les tissais en bouquets pour dessiner sur la page blanche le sentier sauvage de son émoi. Du bout de sa plume, prolongement fidèle de ses doigts fiévreux, il traçait sur le papier les méandres paisibles qui, si elle avait été là, seraient devenus guirlandes de lumière sur sa peau nue. Il écrivait à ce moment avec cette encre transparente et immatérielle qu’elle avait fait naître... Il en était heureux car, au fond de lui, il savait qu’elle le savait. Elle en fut heureuse à son tour quand elle découvrit sa réponse.

Publié dans Et si c'était ça...

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
Je l'ai lu en ce sens. J'apprécie ce qui est particulier, mystérieux laissant à celui qui lit une part non pas de suspens mais comment pourrais-je dire... Laisser son imagination courrir et laisser son esprit imager les mots...<br /> Vraiment je suis ravie d'être aller fouiller en tes premières pages...<br /> Bonne soirée Antine@<br /> Je t embrasse
Répondre
A
<br /> Que tu sois venue répondre aux mots que j'avais posés en écho aux tiens est un geste que j'apprécie tout particulièrement...<br /> Il se tisse ainsi au travers des pages des échanges qui sont d'une qualité rare et souvent bien moins superficielle que le croient ceux qui ne connaissent pas cet univers du partage entre des<br /> personnes qui ne se sont jamais rencontrées physiquement...<br /> Ton regard sur mes mots et sur cette série de textes en particulier est pour moi précieux car j'ai besoin de savoir si l'émotion que j'ai ressentie en écrivant parvient à être ressentie, traduite<br /> par les mots toujours si difficiles à choisir...<br /> Merci d'être venue...<br /> Douce nuit à toi...<br /> Bisous<br /> <br /> <br />
M
On se laisse aller au gré des mots, on devine la joie de l'un et le bonheur de l'autre... Très envoutant de lire ce premier pas, non pas le dire à haute voix, mais laisser la plume glisser pour y mettre chacuns leurs sentiments...<br /> Merci pour ce partage vraiment émotionnel.<br /> Amicalement Maïlyse
Répondre
A
<br /> Ce texte est lui même un partage très particulier... IL et ELLE existent-ils vraiment ? L'essentiel n'est-il pas qu'ils aient existé durant ces heures où une mystérieuse alchimie des êtres leur a<br /> permis d'être l'un à l'autre, vraiment...<br /> Ces textes comportent une part de mystère... voulue...<br /> N'est-ce pas aussi ce qui fait leur charme ?<br /> Merci de cette visite toute en émotion...<br /> J'en suis sincèrement et profondément touché...<br /> Je t'embrasse<br /> <br /> <br />