Laisser la place...
Le petit curseur clignotant attendait patiemment ses ordres électroniques pour se métamorphoser en un entrelacs compliqué de voyelles et de consonnes. Ce matin-là, les mots étaient rétifs ; ils se faisaient attendre et ne sortaient qu'en rechignant de leur caverne de silence. Ils se levaient péniblement des allées blanches où Larousse les avait couchés, indifférents à cette invitation. Il arpentait le filigrane ténu de ses pensées, cette allée buissonnière et familière où il se retrouvait aux heures silencieuses qui précèdent ou suivent les épousailles de la nuit et du jour.
Où était-elle ? Il l'imaginait endormie entre les plis chauds d'un tissu coloré. D'un méandre des draps s'échappait une vague de cheveux et l'abandon de son bras posé semblait inviter le rayon de soleil qui pointait doucement entre les volets mi-clos. «Je vais revenir bientôt broder cette page blanche...» avait-elle dit l'autre jour. C'est avec les courbes souples de son corps qu'elle brodait à présent la prairie chaude des draps froissés. Imperceptiblement, ses doigts se refermèrent... A quoi rêvait-elle ?
Il la devinait en partance... Elle avait dit : «Il faut laisser la place à l'imprévu... Ce qui est programmé m'ennuie...» Ce voyage qu'il faisait à présent sur les lignes imaginées de son sommeil n'était pas prévu. A une intonation de sa voix enrouée, à un rire échappé, à un mot posé entre des ponctuations palpitantes, il avait senti qu'elle attendait... qu'elle l'attendait peut-être.
Il était là maintenant, fasciné par le silence chaud de son sommeil, ébloui par la clarté du jour qui dessinait sur le sable fin de ses épaules les contours flous d'une caresse inventée. La regarder... Ne pas la toucher... Lui parler du bout des yeux... Elle bougea légèrement et il crut percevoir un murmure entre ses lèvres fines qui souriaient. Il voulut faire un pas mais se retint. Le clair-obscur de la chambre s'harmonisait parfaitement avec cet instant rare... «Parfois il me plairait que le temps s'arrête...» avait-elle écrit récemment. Il partageait cette sensation et son regard suivit lentement les lignes fluides de son dos qu'un mouvement venait de découvrir. Il lui semblait sentir le velours de sa peau et pour garder au fond de lui l'empreinte de cette douceur, il ferma les yeux un instant... Elle était toujours là, imprimée à l'envers de ses paupières fragiles. A nouveau son regard écarta le rideau fin des cils pour revenir se poser sur elle. Comme une vague venue de lointains rivages inconnus, elle se retourna, écarta les bras avant de les laisser se poser dans les plis colorés des draps. Plage de lumière, elle s'offrait à la caresse douce du rayon de soleil... Sentiments mêlés... Devait-il partir ou attendre encore ? Sa poitrine se soulevait lentement au rythme paisible de sa respiration reposée... Il se sentait à présent très proche d'elle et le silence velouté qui nimbait la chambre lui disait de rester encore un peu... D'un geste lent, elle repoussa le drap, comme une invitation au voyage... Ses yeux suivirent les lignes douces de son ventre, glissèrent sur la prairie ombrée de mousse, s'accrochèrent aux longs fuseaux de ses jambes qui se perdaient entre les draps... Il voulut détourner son regard... Rêvait-il ?
Il sentit la rosée fine de son émoi perler au bout de ses doigts... Elle tourna son visage vers le rayon caressant du soleil et il crut apercevoir quelques perles de cette même rosée sur son front baigné de lumière. Emotion pure... Sensation douce qui court jusqu'au bas des reins... Il ne put empêcher son regard de se poser à nouveau sur elle... La caresser du bout des yeux, du bout des mots... Un frisson invisible de l'air vint se poser sur elle... Entre lumière et pénombre, elle se laissait deviner, ondula doucement comme pour mieux lui dire d'écrire encore... Ses mots comme une caresse...