JE N'INVENTE RIEN
Il était une fois un collège où les enseignants, pardon les membres de la communauté éducative, furent conviés à une réunion dont l'objectif était pour le moins abscons puisqu'il s'agissait de « définir des objectifs pour chaque axe pour que les actions qui seront ensuite mises en place puissent se glisser dans les objectifs ». Ils n'allaient pas être déçus. Après une heure environ d'intervention directoriale orale au cours de laquelle entendre une phrase claire, complète et syntaxiquement acceptable, relevait de la mission impossible, vint le moment de la répartition en commissions. Après enquête, il apparaît qu'à l'image des sphères politiques, dans l'Education Nationale, quand un problème se pose et qu'on ne sait pas quoi en foutre, on crée des commissions, entités évanescentes auxquelles on refile le boulot. Au sein des commissions, les membres se chamaillent un moment pour désigner un rapporteur qui, comme son nom l'indique est chargé de rapporter, en réunion plénière, le fruit des intenses cogitations du groupe.
Une des sus-dites commissions reçut donc pour tâche de plancher sur un document, élaboré par la direction qui, précaution oratoire, prit soin de préciser qu'il convenait de l'amender. Pourquoi pas ? Ça ou peigner la girafe ! Docile, la commission se pencha sur le document et, l'ayant lu, fut prise de vertige. Y étaient exposés sous forme de tableau les points forts et les points faibles de l'établissement. Un examen plus approfondi de la chose révéla que le mot « amender » relevait du doux euphémisme. De fait, parmi les points forts, quel ne fut pas l'étonnement des participants de lire ceci : « les résultats de l'évaluation montre un niveau global est en baisse ». Citation scrupuleusement exacte. Parmi les points faibles, sans doute par mauvais esprit, la commission releva que « les activités festives de fusion et d'identification à l'établissement sont insuffisantes ». En clair : les élèves étaient nuls mais c'est parce qu'on ne faisait pas assez la fête. Il convenait donc, et c'est d'une logique imparable, de mettre en place moult activités festives, étiquetées culturelles pour se donner bonne conscience. Même si certains enseignants qui possédaient encore un once de lucidité soulignaient que ce qui était important était de savoir lire, écrire et compter - oh ! les ringards - d'autres mirent en avant l'importance du pôle culturel. Il n'était pas dans leur propos de nier l'impérieuse nécessité d'un éveil et d'une ouverture culturelle des enfants. Cependant, avait-on déjà vu une culture prospérer, s'épanouir et fructifier sur une jachère envahie d'une végétation parasite et étouffante ? Ils n'étaient pas au bout de leurs peines.
En effet, parmi les points forts de l'établissement, ils notèrent « une politique pour associer les parents aux incidents ». Voilà une chose efficace et pédagogiquement fructueuse ! Mais de quoi s'agissait-il ? De demander la participation des parents aux différents actes de vandalisme qui émaillent le quotidien ? D'obtenir leur caution morale aux incivilités chaque jour plus nombreuses de leurs chérubins ? Nul ne le sut et la commission eut bien du mal à amender ce point.
Cependant, les membres dociles et imprégnés des discours officiels se remirent en cause, entrèrent en phase d'autocritique et cherchèrent pourquoi ils étaient en difficulté. Cerise sur le gâteau, la réponse leur fut fournie par le directorial document où, dans les points faibles, ils découvrirent qu'il n'y avait « pas assez de pénétration des projets citoyens dans la communauté ». Certains des participants commencèrent, en revanche, à avoir une idée très précise de l'endroit où ils envisageaient de faire pénétrer les projets citoyens, mais se turent pour ne pas être taxés, une nouvelle fois de vulgarité.