De l'inutilité des esthéticiennes
De puis déjà des pages que je vous narre par le menu mes indignations, mes refus, mes haines aussi ; depuis quelques kilomètres de ruban carboné que je jette à vos regards avides les échos sombres de mes bouillonnements intérieurs, le moment est venu de récapituler. Je n'aime pas les chasseurs, qu'ils sachent ou non chasser sans leurs chiens, je hais les logorrhées insipides des douairières ventripotentes, j'abhorre ces fleurons de l'Audimat que sont les émissions de variétés invariables et avariées, je déteste les connes impubères qui pavoisent à l'antenne des radios, j'exècre les verdâtres uniformes et les têtes de bois qui les habitent et j'abomine en vrac les fêtes de famille du calendrier judéo-crétin, les doses de bonne conscience télévisuelle pour racheter l'hémoglobine des infos quotidiennes, les supporters insupportables, les tyrans, les pubs ringardes des cuistres lessiviers et ma voisine parce qu'elle n'a pas encore compris que je me foutais éperdument des résultats scolaires de la larve braillante et sautillante qu'elle appelle : " Ma fifille!"
Cependant, au hit-parade des inutilités qui encombrent notre univers quotidien, il est une profession qui tient une place de choix. Ne vous est-il point arrivé, au cours d'une citadine déambulation destinée à polluer un peu vos poumons encrassés par ce bon air campagnard où le pestilentiel ensilage le dispute aux miasmes nauséabonds des purins domestiques, de poser vos regards sur de telles enseignes : INSTITUT DE BEAUTE - CENTRE DE COSMETIQUE ET D'ESTHETIQUE - INSTITUT DE BIOCOSMETOLOGIE... j'en passe et des meilleures. Derrière ces titres ronflants, opèrent des minettes emperlousées aux papattes manucurées de frais. Elles traquent le comédon mutin qui s'incruste subrepticement sous l'épiderme ripoliné des grognasses désœuvrées, tentent de redonner quelque éclat aux mufles avachis des reines-mères ménopausées, massent désespérément des poitrines flasques plus ravagées qu'un champ de rutabagas après la bataille de la Marne, triturent, malaxent, pétrissent, massent, brassent, tripatouillent, tripotent, trifouillent, pelotent, tapotent, pincent, étirent et frottent des abdomens cellulitiques, des hanches grassouillettes, des arrières-trains adipeux, des cuisses replètes, des triples mentons pansus, des chutes de reins tombées au trente-sixième dessous et des monceaux de tissus cutanés, des arpents d'épidermes en cours de désintégration.
Non contentes d'officier dans le sauvetage des ruines non classées au répertoire des calamités en voie de disparition, les minettes embagouzées fleurant bon les senteurs vertes du bloc Purodor des chiottes de la gare de Montauban, rivalisent d'incompétence pour conseiller à leurs clientes la crème du soir aux extraits d'algues emazoutées du Finistère-Nord, le masque relaxant à l'argile irradiée des bourbiers tourangeaux, le fluide hydratant aux liposomes actifs et autres cochonneries en tubes, en flacons, en pots, en bouteilles, qui doivent, en principe, refaire ce que le temps, dans son opiniâtre course, a défait. Ces vendeuses de vent ont pignon sur rue, des salons au look clean et des devantures où quelques mannequins, vautrés sur papier glacé au soleil artificiel et factice des publicitaires arnaqueurs, racolent les connes de tous poils qui maquillent d'inutilité les abîmes insondables de leurs vides cérébraux. Tout est bon pour racoler. Toutes les promesses à faire pâlir de jalousie les plus vieux cuistres politicards sont utilisées afin de faire acheter de quoi raffermir les couennes des connes et de vider les porte-monnaie. Grâce à la lotion Machin, en deux ans de massages quotidiens, vous rajeunissez d'une heure ; les liposomes fureteurs du baume Truc rendent à vos seins une fermeté qui attirera l'œil de l'obsédé moyen qui bande devant les modèles du catalogue d'une grande firme roubaisienne et, quelques noisettes du gel Chose appliquées judicieusement sur vos bourrelets disgracieux vous rendront une taille à faire pâlir les vamps des salles obscures.
Mesdames, vous n'êtes pas raisonnables! Comment pouvez croire à de telles fadaises? Que n'êtes vous assez fines pour débusquer le coup fourré derrière ces baratins pseudo-scientifico-médicaux ? Doutez-vous à ce point de vos charmes pour vous laisser abuser par ce racolage mercantile ? Pourtant, vous étiez prévenues. Vous qui regardez les magazines de mode où s'affichent les stars du cinéma et de la chanson, vous n'êtes pas pardonnables de vous faire ainsi gruger. Enfin quoi, quand vous voyez la gueule de Régine, ça vous donne vraiment envie de tenter un lifting ? Vous avez envie de vous retrouver avec des joues en peau de coude et des paupières en capote de fiacre ? Quand vous apercevez Liz Taylor ou Gloria Lasso à la une d'une feuille de chou, vous avez encore envie de vous maquiller ? Et puis d'abord, à quoi ça sert ? A moins que vous ne vous prépariez pour séduire les descendants de la dynastie Bol de riz quand il déferleront sur nos campagnes. Dans un œuf, c'est bien connu, avant de manger le jaune, il faut d'abord avoir le blanc.